Samuel
La nuit était tombée quand je sortis de l’hôpital, mon esprit toujours en ébullition. Il n’y avait rien de plus tangible que la réalité froide et cruelle devant laquelle je me trouvais, mais elle me paraissait aussi floue et irréelle qu’un cauchemar. Chaque pas sur le pavé semblait plus lourd que le précédent, chaque respiration me semblait un effort. Je n'avais pas le temps de réfléchir à ce que je venais de vivre. Ce n’était pas la fin. C’était seulement le début.
Je n'avais pas tout prévu. Je n’avais aucune idée de comment j’allais faire, mais une certitude grandissait en moi : je devais devenir Alexandre. Je devais occuper sa place, au moins pour un moment. Cela me paraissait l’unique moyen de trouver la vérité, de découvrir ce qui se cachait derrière sa mort. Je n'avais ni le temps ni l'énergie pour douter.
Je pris un taxi en direction de son appartement, celui qu’il occupait depuis quelques mois déjà. La même sensation d’étrangeté m’envahit dès que je montai dans le véhicule. À chaque carrefour, j’avais l’impression de m’éloigner un peu plus de moi-même, de cette vie que j'avais construite loin des tumultes d’Alexandre. Mais tout ça n’avait plus de sens maintenant. Ce n’était plus une question de vie ou de mort, c’était une question de vérité. Je devais savoir pourquoi il était mort.
L’appartement d’Alexandre se trouvait dans un quartier plutôt tranquille, même s'il avait tendance à cacher quelques facettes sombres, à l’image de son propriétaire. Je savais qu’il n’était pas le genre à se lier facilement avec les voisins, mais tout de même, ce lieu, ce quartier, représentait sa nouvelle vie. Il semblait avoir voulu repartir à zéro. Mais s'il avait réellement tourné la page, pourquoi sa fin était-elle aussi violente et insensée ? Il y avait quelque chose de caché ici, quelque chose que je devais découvrir.
Je me garai devant le bâtiment et me dirigeai vers l’entrée. L’escalier qui menait à son étage était vieux, usé. J’avais l’impression qu’il m’observait, qu’il savait où j’allais, que tout ce qui se passait autour de moi était déjà écrit. Un frisson parcourut mon dos. C’était ridicule. Je n'avais pas de temps pour de telles pensées.
Une fois devant la porte de son appartement, je m’arrêtai un instant. L’intérieur de moi était un tourbillon de sentiments contradictoires. Je pouvais presque sentir la présence de mon frère à travers cette porte. Il n’était pas loin, mais il m’échappait, comme si je voulais retrouver une partie de lui, mais qu’il me glissait entre les doigts à chaque tentative.
Je pris une grande inspiration et frappai doucement.
Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit lentement. La silhouette de Clara apparut dans l’encadrement de la porte, son visage marqué par la fatigue et l’incompréhension. Elle me fixa un instant, sans savoir qui elle avait devant elle. Ses yeux étaient remplis de tristesse, de ce vide qui semble engloutir toute lumière, mais aussi d’une lueur qui me rappelait que, malgré le chagrin, elle était toujours là. Elle s’était battue pour son mari, pour son fils, pour maintenir cette famille à flot. Et aujourd’hui, elle était perdue. Elle ne savait même pas qui j’étais.
— "Clara… c’est moi, Alexandre."
Je vis un frisson parcourir son corps. Elle me scrutait avec cette expression que j’avais vue tellement de fois auparavant : la tentative de déchiffrer un visage, une âme, un regard. C’était une femme qui connaissait son mari, un peu trop bien peut-être. Mais en moi, il n’y avait qu’une ombre de lui. Une ombre tremblante, incertaine. Et pourtant, je devais tenir. Je n’avais pas d’autre choix. Pour elle, pour leur fils, pour Alexandre.
— "Alexandre… tu… tu es revenu si vite de l’hôpital ?" demanda-t-elle, visiblement confuse. Son ton trahissait une certaine incrédulité, comme si elle attendait encore un signe. Peut-être espérait-elle que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve.
Je me forçai à sourire, même si l’idée de jouer à ce jeu me tordait les tripes. La douleur dans ma poitrine était immense, mais je la camouflais sous un masque froid. Je devais paraître crédible. Je n'avais pas le luxe de faillir.
— "Oui… oui, j'ai dû partir précipitamment, tu sais, l’autopsie et tout ça. Mais ça va, j’étais juste un peu secoué." Je me sentais presque répugné par la façon dont mes mots sortaient de ma bouche, mais il n’y avait pas de place pour l’honnêteté dans ce plan. Pas encore. "Je voulais te voir, te prendre dans mes bras… pour te dire que tout va s’arranger."
Elle sembla hésiter un instant, puis se recula, me laissant entrer. J’entrai, et l’air dans l’appartement me sembla étouffant, comme si j'étais en train de me glisser dans la peau d'un autre, dans une vie qui ne m’appartenait pas. Je pris sur moi pour ne pas me laisser submerger par la lourdeur du moment.
Clara s’assit sur le canapé, les mains posées sur ses genoux, et je la rejoignis lentement.
— "Je… Je suis désolée, Alexandre. Je suis perdue. Pourquoi tout ça ? Pourquoi tu… pourquoi tu t’es retrouvé là-bas ?"
Ses yeux étaient noyés de larmes, mais elle essayait de ne pas craquer. Elle voulait des réponses, tout comme moi. Mais je savais que je ne pouvais pas lui offrir la vérité tout de suite. Pas encore.
— "Je ne sais pas…" répondis-je d’une voix lente, presque trop calme. "Je n’ai aucune idée. Mais je te promets que je vais découvrir ce qui s’est passé. Je vais comprendre pourquoi ils l’ont fait."
Je vis une lueur d’espoir s’allumer dans ses yeux, une lueur fragile. Elle se leva lentement, s’approcha de moi et me prit dans ses bras, comme si elle cherchait une dernière preuve que tout n’était pas perdu, que tout cela n’était qu’une mauvaise passe. Je me tendis, mais je n’osai pas la repousser. Pas maintenant. Pas après tout ce qu’elle traversait.
Je fermai les yeux un instant, fermant les portes de ma conscience, les écoutant frapper à ma mémoire, comme des vagues battant un rivage désert. Mais il y avait une voix qui me murmurait sans cesse : Tu dois continuer. Tu dois découvrir la vérité.
Et ainsi, dans cette étreinte, je pris une décision irrévocable : j’allais devenir Alexandre. Pas juste dans cet appartement, pas seulement pour Clara, mais dans chaque aspect de la vie qu’il avait laissée derrière lui. Je devais incarner son rôle, prendre son identité. Ce n’était pas juste pour elle. Ce n’était pas juste pour moi. C’était pour découvrir ce qui avait causé sa mort.
Et cette vérité, je la découvrirai. Peu importe le prix à payer.
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